Et si on stockait plus de bois au lieu de le brûler ?

Energies

Faire pousser des arbres et des végétaux dans le but prioritaire de stocker leur matière permet à la fois de capturer du CO2, de régénérer les sols usés par l’utilisation de produits chimiques et le labour, de redynamiser les écosystèmes terrestres et de replacer le bois au centre des activités humaines. Le brûler sans prendre en compte ses émissions instantanées de CO2 -comme le favorisent certains objectifs de « transition énergétique », notamment en France- empêche de rentrer dans une telle dynamique vertueuse.

Le bois-énergie est à ce jour considéré comme un moyen de lutter contre le dérèglement climatique, et on lui attribue officiellement de faibles émissions de CO2 dans son cycle de vie, pas plus de quelques dizaines de grammes par kilowattheure. Ainsi, dans son projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028, le gouvernement français envisage d’augmenter la production de chaleur à partir de biomasse de 123 TWh en 2016 à 169 en 2028, soit 46 TWh de plus, 37% de hausse, le bois étant de très loin l’énergie « renouvelable » la plus utilisée dans l’Hexagone pour produire de la chaleur.

Combustion du bois: plus de 400 g de CO2 par kWh

Or, si le bois est bien une ressource renouvelable dès lors que l’on ne coupe pas plus d’arbres qu’il n’en pousse, il émet au moment où on le brûle au moins autant de CO2 que le charbon, environ 350 g par kWh. Et cette valeur augmente jusqu’à plus de 400 g si on y ajoute le séchage comme c’est le cas pour la production de plaquettes. Sans parler de la pollution issue des particules fines. La progression du chauffage à partir de biomasse désirée par la France d’ici 2028 pour participer à la lutte contre la fièvre planétaire équivaut donc en fait à des émissions supplémentaires brutes annuelles de l’ordre de 18 millions de tonnes de CO2. Et l’on espère donc juste compenser ces émissions avec les nouveaux végétaux qui poussent.

Ainsi, le bois-énergie ne peut être considéré « neutre » en carbone qu’à long terme et uniquement « dans le cas d’une « gestion durable » de la biomasse », selon l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME). Cette hypothèse est actuellement jugée applicable à l’échelle de la France, où la quantité de bois tend à ce jour à augmenter, mais pas à l’échelle mondiale (la plus importante pour la problématique climatique) où la déforestation équivaut à un recul annuel de l’ordre de 7 – 8 millions d’hectares.

Des forêts de plus en plus fragilisées

De plus, à force de tempêtes violentes, canicules et autres sécheresses, entraînant morts et dépérissements de nombreux végétaux, la dynamique du dérèglement climatique montre que les écosystèmes terrestres vont pouvoir devenir régulièrement des sources de CO2, comme cela s’est déjà produit en Europe lors des chaleurs de 2003, donc que les forêts seront de plus en plus fragilisées. Et puis, du bois met quelques minutes ou heures à brûler quand il met des années ou des dizaines d’années à pousser. Il y a donc forcément un décalage entre les émissions et le potentiel stockage.

Surtout, le fait de ne pas prendre en compte les émissions brutes, instantanées, de la combustion du bois, handicape un levier stratégique de limitation du réchauffement global de la planète. En effet, le bois et les végétaux en général forment la seule matière qui est à ce jour à notre disposition sur les continents, pour stocker du CO2 atmosphérique. Et ce sont leurs résidus (feuilles, rameaux, bois mort…) qui servent de matière première à la fabrication de l’humus et des sols, donc encore à un stockage de carbone, avec le concours des collemboles, acariens et autres vers de terre.

Le bois permet de stocker du carbone dans les forêts, les sols, les activités humaines…

Gérer des forêts durablement dans le but de produire plus de bois et de matières pour, ensuite, de manière prioritaire, les stocker, peut donc dynamiser la pompe à CO2 atmosphérique que représente la photosynthèse, et les réservoirs à carbone que forment bois, végétaux divers et sols. Leur exploitation intelligente peut ainsi permettre à la fois d’accroître la quantité de carbone des sols, et de fournir des grumes et branches pour la construction ou encore la menuiserie -et plus généralement pour remettre le bois au centre des activités humaines- tandis que les têtes de l’arbre peuvent être au moins en partie utilisées pour régénérer des terres usées par l’utilisation de produits chimiques (engrais, pesticides) et en proie à l’érosion, avec bien sûr déstockage de carbone. En France, plus de 2 tonnes de terre par hectare partent actuellement chaque année vers la mer.

Sur les terres mourantes, il est vérifié qu’un produit comme le bois raméal fragmenté, qui est du jeune bois broyé, permet de réactiver l’activité biologique, donc ainsi d’accroître la fertilité. Il en est de même pour les déchets de culture sur lesquels il est possible de semer sans labour (qui est source de libération de carbone de la terre vers l’atmosphère), et des haies bocagères qui, en plus de leur rôle protecteur (vent, soleil) et de leur capacité à stocker elle-même du carbone, fournissent du petit bois. Sans parler des trognes, ces arbres « cultivés » dont on coupe régulièrement les rejets.

Stimulant les techniques agricoles respectueuses des sols, toutes ces approches permettent en plus de favoriser en parallèle une biodiversité qui aujourd’hui s’appauvrit, cette renaissance étant en retour propice à des milieux plus dynamiques et résilients aux aléas climatiques. De leur côté, les déchets industriels du bois tout comme la paille, peuvent être réintégrés dans la fabrication de panneaux de bois ou de produits biosourcés utiles à la construction.

Prendre en compte les émissions réelles, instantanées, de la combustion du bois

Dit autrement, le bois et les végétaux offrent la possibilité de se placer dans une dynamique vertueuse de restockage du carbone atmosphérique dans les écosystèmes, dans les sols, dans les constructions et dans de multiples usages utiles au développement d’activités humaines, en remplacement de matériaux émissifs: ciment, matériaux industriels de construction, plastique, engrais chimique, etc. Cela n’empêche pas bien sûr de continuer à brûler du bois pour se chauffer, notamment quand il n’y a plus d’autres solutions pour son usage, mais en tenant toujours compte des émissions réelles instantanées de cet acte.

Dans la pratique, l’actuelle logique de développement du bois comme « source d’énergie renouvelable » aboutit en revanche à la mise en service d’innombrables chaudières à granulés, pellets et autres plaquettes, et à la conversion de moult centrales thermiques à charbon en centrales à biomasse, comme par exemple ce qui est envisagé en France pour la centrale de Cordemais, en Loire-Atlantique. Résultat: outre les émissions de CO2 induites, un volumineux marché international du « déchet » de bois s’est mis en place. Sans limite, ce marché peut même pousser certains acteurs à broyer des arbres entiers pour fabriquer de la matière bonne à vendre… Et à renforcer in fine la déforestation mondiale. En Europe, l’utilisation massive du bois-énergie dans les politiques de transition énergétique suscite même l’inquiétude sur les émissions de CO2.

Favoriser en contrepartie l’énergie solaire thermique

Enfin, outre le fait qu’elle permettrait de stimuler et pourquoi pas de massifier les activités de stockage du carbone, la prise en compte des émissions réelles de la combustion du bois favoriserait forcément, dans le cadre de l’augmentation programmée de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, le développement important de produits qui économisent de l’énergie comme les pompes à chaleur, et le développement systématique d’énergies renouvelables productrices de chaleur et réellement pauvres en CO2, comme la géothermie là où elle est possible et surtout le solaire thermique (à ne pas confondre avec le solaire photovoltaïque qui fournit de l’électricité).

Directement disponible partout et ne nécessitant pas forcément une haute technologie, le solaire thermique permet en effet de réduire fortement la consommation de toute autre source d’énergie et peut se développer rapidement, comme le montre l’exemple de la chine, largement en tête dans ce secteur, et où des chauffe-eaux solaires sont massivement installés. Dans son projet de programmation pluriannuelle de l’énergie, la France a au contraire revu à la baisse ses ambitions en termes de solaire thermique (également bridé par la réglementation) avec un objectif de 2,5 TWh en 2028 (soit 650 000 M2 installés par an, environ 1 mètre carré donc par kilomètre carré de territoire…), 67 fois moins que l’objectif du bois-énergie ! Ne pourrait-on pas mieux faire ?

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