Comment le photovoltaïque et les véhicules électriques pourraient court-circuiter les énergies fossiles…

Energies

Particulièrement optimiste pour le développement du solaire photovoltaïque (jusqu’à 29% de la production électrique mondiale en 2050) et des véhicules électriques (69% du marché des transports routiers à la même date), un rapport de Carbon Tracker Initiative et du Grantham Institute, estime que la forte chute des coûts financiers de ces technologies va stopper la croissance de la demande de pétrole, demande qui se stabiliserait en 2020-2030, puis déclinerait… A moins que le pic pétrolier géologique de l' »offre » n’en décide autrement.

En jaune, scénarios d’évoluton de la puissance installée de solaire photovaltaïque selon l’étude. Doc. CTI-GI

Selon une étude réalisée par le Grantham Institute du Collège impérial de Londres et le think tank financier Carbon Tracker Initiative, « l’essor des véhicules électriques et de l’énergie solaire pourrait mettre fin à la croissance de la demande mondiale de pétrole et de charbon à partir de 2020″… Pour arriver à une telle conclusion, cette étude baptisée « The Disruptive Power of Low-carbon Technology », se base sur les rapides et fortes baisses des coûts des batteries des voitures électriques (division par quatre entre 2008 et 2015) et du solaire photovoltaïque (-85% sur les sept dernières années), ainsi que sur les progressions encore espérées pour l’avenir. 

Prévisions 2030: 35% des véhicules électriques, 2000 GW de photovoltaïque

A l’échelle industrielle, elle pronostique pour le photovoltaïque un coût par gigawatt installé de 390 millions de dollars (en dollars américains 2016) en 2050 contre plus ou moins 1375 en l’an passé (Lazard 2016). A l’échelle domestique (panneaux solaires moins concentrés), elle vise 643 millions de dollars le GW en 2050 contre 2000 à 2800 en 2016 (Lazard, 2016). Et elle estime que le photovoltaïque imprimable pourrait encore réduire nettement l’addition.

Concernant les véhicules électriques, l’étude cite notamment le Département de l’Energie américain selon lequel le coût des batteries, principal paramètre affectant le coût total d’une voiture électrique, est passé de 1000 dollars le kiloWattheure en 2008 à 268 dollars en 2015. Elle cite également la marque Tesla qui prévoit d’atteindre 100 dollars/kWh en 2020. Le prix des voitures électriques étant jugé compétitif avec celui des voitures thermiques quand le coût de la batterie se trouve entre 150 et 300 dollars le KWh, on devrait donc avoir un puissant développement des voitures électriques dans les années qui viennent.

Le Grantham Institute et Carbon Tracker Initiative affirment que les véhicules électriques pourraient représenter un tiers du marché des transports routiers en 2035, puis plus de la moitié en 2040 et plus de deux tiers en 2050 (69%). Au total, le solaire photovoltaïque pourrait générer, toujours selon eux, 23% de l’électricité mondiale d’ici 2040 et jusqu’à 29% d’ici 2050 pour une production totale approchant alors 50 000 TWh, plus de deux fois la production de 2012. Le photovoltaïque ferait alors jeu égal avec… le nucléaire, lui aussi donné par cette étude en forte hausse à partir de 2030, devant la biomasse, l’hydraulique ou encore l’éolien.

Un rapport qui remet en cause « la viabilité des investissements destinés à développer les énergies fossiles »

Dans ce contexte, également caractérisé par des politiques plus ou moins fortes de réduction des émissions de CO2, la demande en pétrole resterait d’après l’étude à peu près stable entre 2020 et 2030 (avec environ 4 000 millions de tonnes équivalent pétrole) pour diminuer ensuite de façon soutenue jusqu’en 2050 tandis que la demande de charbon atteindrait son pic dès 2020 et diminuerait de moitié d’ici 2050 par rapport à 2012 (3500 millions de tep). Quant à la croissance de la demande en gaz, elle serait nettement freinée (aux alentours de 4000 millions de tep) durant la même période.

Scénarios d’évolution de la demande en pétrole. Avec l’essorr du photovoltaïque et des voitures électriques, Carbon Tracker Initiative et le Grantham Institute (courbes rose, verte et jaune) prévoient une stabilisation dès les années 2020 et un déclin marqué après 2030. Doc. CTI-GI.

« La croissance du marché des véhicules électriques pourrait à elle seule conduire à une réduction de la demande de pétrole de 2 millions de barils par jour (mbj) d’ici 2025, soit une baisse équivalente à celle qui a entraîné la chute du prix du pétrole en 2014-2015. Ce scénario prévoit un remplacement de la demande en pétrole de l’ordre de 16 mbj d’ici à 2040 et 25 mbj d’ici à 2050 », précise l’étude.

Ces chiffres contrastent très fortement avec les données des producteurs d’énergie fossile (pétrole, charbon, gaz), qui « sous-estiment l’effet disruptif des nouvelles technologies », assurent les auteurs du rapport « The Disruptive Power of Low-carbon Technology ». Par exemple, « ExxonMobil prévoit que l’ensemble des énergies renouvelables ne fournira que 11 % de l’énergie mondiale d’ici à 2040« , indique-t-elle. Pour BP, les véhicules électriques représenteront seulement 6 % du marché en 2035. Quant aux pics de la demande en charbon et en pétrole, ils ne sont pas attendus par la plupart des grandes entreprises du pétrole, du charbon et du gaz, avant respectivement 2030 et 2040.  Et c’est sur de telles bases que ces entreprises prévoient leurs investissements…

Ainsi, le rapport du Grantham Institute et de Carbon Tracker remet en fait en cause « la viabilité des investissements destinés à développer les énergies fossiles »… « De nouvelles innovations pourraient même donner l’impression d’ici cinq ans que nos scénarios sont conservateurs, auquel cas les anticipations de demande des entreprises sera encore plus éloignées de la réalité », estime même Luke Sussams, chercheur chez Carbon Tracker.

Deux paramètres à rajouter: le pic pétrolier « géologique » et le taux de retour énergétique des sources d’énergie

Conjugué avec l’application des engagements des différents états de la planète pour lutter contre les changements climatiques, une telle montée en puissance du solaire photovoltaïque pourrait permettre de limiter le réchauffement climatique « à 2,4° C ou 2,7° C d’ici à 2100 », calculent les responsables, voire de 2,2° C ou 2,4° C « si d’autres secteurs que ceux de l’énergie et des transports routiers sur lesquels ce rapport se concentre, comme les industries lourdes, l’aviation et le transport maritime, font des efforts spécifiques en matière de décarbonation », estiment-ils également. Selon les chercheurs, le niveau auquel croîtra la demande en gaz d’ici 2050 sera un paramètre clé pour atteindre ou ne pas atteindre l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 2°C.

Pour aboutir à l’ensemble de ces résultats, les calculs de Carbon Tracker Initiative et le Grantham Institute se basent (en plus de la baisse des coûts technologiques et des politiques climatiques) sur l’hypothèse selon laquelle la population mondiale atteindrait un pic de 9,4 milliards d’êtres humains en 2070 tandis que la croissance économique moyenne annuelle afficherait 3,13% entre 2010 et 2050.

Dans les scénarios d’évolution envisagés, il n’y a donc pas d’option dans laquelle on atteindrait le pic géologique de la production de pétrole avant le pic prévue de la demande, ce qui est pourtant bien envisageable. Et ce qui changerait radicalement la donne, notamment en termes de croissance du PIB. Publié en septembre dernier, un rapport de la banque HSBC intitulé « Global Oil Supply » estime que 81% de la production de la production de liquides pétroliers dans le monde provient de réserves en déclin. Selon les auteurs, la contraction « post pic » de la production atteindrait un taux annuel de 5 – 7%, soit 3 à 4,5 millions de barils jour en moins chaque année, soit encore l’équivalent de quatre Arabie Saoudite d’ici 2040… Bien plus, donc, que la baisse envisagée de la demande de pétrole à partir de 2030.

Au-delà de la question des coûts technologiques, il n’y a pas non plus de référence évidente au taux de retour énergétique des sources d’énergie (EROI en anglais, comme Energy Returned On Energy Invested), c’est-à-dire au travail nécessaire (énergie, travail humain, machines, ressources naturelles…) pour produire un KWh par exemple. Or, la baisse des coûts du solaire photovoltaïque par KWh n’est-elle pas aujourd’hui obtenue grâce notamment à un afflux d’énergie provenant principalement des énergies fossiles ? Que deviendront ces coûts dans un monde où le photovoltaïque deviendra dominant ? C’est en répondant également à ce type de question qu’un rapport comme « The Disruptive Power of Low-carbon Technology » pourrait évaluer la durabilité réelle de cette « massification » du solaire photovoltaïque, qui n’a rien d’évidente.

En effet, contrairement aux combustibles fossiles qui renferment une énergie très concentrée, le solaire propose une énergie diffuse, qu’il convient de concentrer pour produire de l’électricité… « Il faudra toujours plus de travail humain pour extraire un kWh électrique du flux solaire que pour extraire un kWh électrique du gaz ou du charbon, tant qu’il restera des quantités non ridicules de ces combustibles », prévient l’expert énergie – climat Jean-Marc Jancovici.

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